Echos des événements de l’ACF IdF
DES PSYS EN CLASSE DE PHILO DANS LA BANLIEUE !
par Virginia Rajkumar, avril 2016
Quel pari audacieux que ce projet Philo-Psychanalyse initié par l’ACF Île-de-France ! Tout au long de cette année scolaire, des psys d’orientation lacanienne engagés dans le champ freudien (membres de l’ACF, de l’Envers de Paris et /ou de l’ECF) sont en effet intervenus en cours de philosophie auprès d’élèves de lycée de banlieue, pour sensibiliser à la réalité de l’inconscient, faire vivre et circuler les signifiants lacaniens.
Cette première a réuni cinq professeurs de philosophie[1] de trois lycées, respectivement de Thiais (94), Anthony et Neuilly (92) et sept cliniciens orientés[2], à partir d’un désir partagé d’ouvrir le temps d’un cours de philosophie, les salles de classes à un autre discours, à une autre transmission sur l’inconscient, une des diverses notions du programme de la matière au lycée.
Il n’y avait aucune évidence à ce désir partagé si philosophie et psychanalyse ne font pas nécessairement couple, elles non plus. Elles se séparent en effet à l’endroit même de leur rencontre, tant l’une peut chercher à boucher le trou de non savoir à partir duquel l’autre parle.
Il n’y avait aucune évidence non plus à ce que les élèves puissent laisser place à la contingence d’une rencontre, en ces temps où les lycées des cités peuvent parfois se faire l’écho amplificateur du malaise dans la civilisation. Parfois réfugiés à l’abri, soit sous les discours de méfiance voire de certitude d’un Autre malveillant donnant signification au hors sens du réel traumatique des derniers événements, soit protégés sous les signifiants religieux recouvrant le non rapport sexuel, soit dans l’indifférence au désir de savoir, ils se laissent donc peu de jeu.
Quelle ne fut pas alors la surprise ! « Surprise » côté psys et élèves, et « sentiment de vie » côté professeurs et élèves, au regard des signifiants donnés dans l’après-coup. Décalés de leur position habituelle, nombreux sont les élèves qui se sont laissés surprendre par ce qui pouvait s’entendre via la présence du clinicien de la transmission du savoir insu des sujets en analyse.
C’est en effet à partir de la pratique, des cas cliniques, ou des formations de l’inconscient que les interventions se sont élaborées. Probablement aussi que par sa présence vivante, le désir de l’analyste, prenant le contrepied de la fonction du professeur et s’orientant du sens inverse donné à la transmission à l’école, a permis à la rencontre d’opérer. Ainsi, l’intuition du transfert et de ses enjeux dans une classe technologique n’ayant pas reçu de cours préalable sur l’inconscient. Ou la conscience du danger de la suggestion et des techniques de l’hypnose qui ont l’air d’être connues de certains. Mais aussi la saisie fulgurante de l’équivoque signifiante à l’origine de la formation d’un symptôme dans une vignette clinique. Le choix d’exposer un cas clinique en prise avec la très récente actualité des attentats a été, pour les élèves concernés, l’occasion d’apercevoir comment la dimension de l’inconscient peut se nouer singulièrement à un événement traumatique commun, venant bousculer les conceptions clivées sur le racisme et la haine, et interroger le signifiant « victime ». De plus, les doutes de certains quant à la question du sexuel articulée aux symptômes seront pour eux l’occasion d’un retour du psy en fin d’année.
Le désir de poursuivre ce projet est en marche, car il nous apparaît comme un moyen vivifiant de transmettre quelque chose des fondements de la psychanalyse d’orientation lacanienne et du transfert qui nous anime.
[1] BOILLOT Hervé, BERROIR Dominique, CHAUMIE Jean-Baptiste, LONIS Clarisse, RAJKUMAR Virginia.
[2] CHARPENTIER-LIBERT Aurélie, DENIS Marcelo, GOMMICHON Xavier, HA PHAM Alice, JAIGU France, LAVOINE Pierre-Ludovic, LEDUC Caroline.
INTERVIEW DE FEDERICO OSSOLA
Par Xavier Gommichon
Le 29 janvier dernier se tenait à Paris un colloque de l’AFP consacrée à la parution de la CFTMR- 15, classification française de psychiatrie de l’adulte, révisée en 2015. Cette classification se veut l’alternative aux classifications internationales, CIM 10 de l’OMS et surtout DSM, dont la dernière livraison, DSM V datant de 2014, est l’objet d’un rejet quasi-unanime des psychiatres français et étrangers.
Federico Ossola, psychiatre à l’EPS Paul Guiraud de Villejuif, fait partie de la première équipe qui a testé la classification auprès d’un échantillon de malade.
•Xavier Gommichon (XG) : Federico Ossola, qu’est-ce que cette classification apporte de nouveau ?
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Federico Ossola (FO) : on pourrait penser que c’est une question qui ne se passerait qu’entre psychiatres, mais je pense que ça va bien au-delà de ça, que ça concerne la psychanalyse. Elle a un impact beaucoup plus large. Cette nouvelle Classification Française des Troubles Mentaux a été saluée comme un événement historique, la France ayant de longue date sa propre classification, ainsi que d’autres pays européens, mais qui s’est « assoupie » comme une sorte de Belle-au-bois-dormant depuis 1968. La France s’était désengagée de cette question des classifications des troubles mentaux au moment de la montée du DSM qui a pris toute la place.
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XG : et depuis 1968 ?
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FO : En 1977 eut lieu un congrès mondial à Honolulu où l’OMS proposa de relancer toutes les classifications nationales pour les mettre en relation avec la CIM 10, la classification de référence de l’OMS. C’est ce qui aurait pu fédérer les classifications des différents pays et cultures. Or la France ne réagit pas, mais les USA réagirent fortement avec une sorte de « task force », (menée, pour les versions III et IV du DSM, par le Pr Nancy Andreasen, neuropsychiatre américaine, spécialiste « référente » des troubles négatifs de la schizophrénie (ndlr)).N. Andreasen est venue il y a trois ans à Paris pour un colloque de l’Association Franco-Argentine, et a décrit en toute franchise comment elle et ses collègues étaient là pour contrer toute influence de la psychanalyse dans la psychiatrie américaine.
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XG : une volonté délibérée d’expulser la psychanalyse de la psychiatrie ?
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FO : oui, et ils ont réussi leur coup. Il y a eu un travail d’exclusion progressive de tout ce qui a peut avoir référence à la psychanalyse, dans la clinique psychiatrique. Si bien que l’on se retrouve aujourd’hui avec le DSM V, successeur de toute une lignée, dans lequel la clinique du sujet a totalement disparu. Par exemple, le chapitre des névroses a disparu, la paranoïa n’existe plus. Par contre il y a des diagnostics avec des critères symptomatiques : il faut répondre à trois critères sur cinq pour avoir le diagnostic. Une clinique donc extrêmement pauvre !
Et donc cette nouvelle classification française revient dans une certaine actualité qui peut la relancer et qui n’est autre chose qu’un retour à la clinique. Elle reprend des éléments de la psychiatre française classique, qui garde toujours son actualité, avec des éléments de la psychanalyse.
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XG : et comment cela s’est-il organisé ?
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FO : Les psychanalystes ne sont pas étrangers à tout cela. Cette classification part d’un mouvement qui s’appelle STOP DSM, qui questionne les dérives de l’approche DSM. François Leguil par exemple, psychiatre, psychanalyste et membre de l’ECF, s’est investi dans ce mouvement, avec d’autres collègues psychiatres et psychanalystes de différents bords pour un dialogue.
Leur réaction a été à un moment : « on est tous d’accord que le DSM ne nous convient pas, mais que propose-t-on à la place ? ». A partir de là, a commencé à germer cette idée d’une nouvelle classification française. Des gens comme les Drs Kammerer et Garrabé, qui sont porteurs de la tradition psychiatrique française, ont participé à l’élaboration et la rédaction de la classification, avec parmi les auteurs, A Vaissermann, et parmi les rédacteurs D Wintrebert (psychiatres, psychanalystes membres de l’ECF (ndlr)). Ce qui laisse une certaine marque dans cette classification, puisqu’elle ouvre une réflexion sur la psychanalyse et la clinique beaucoup plus riche. Il y a donc un côté historique dans cette nouvelle classification.
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XG : en quoi cette nouvelle classification se démarque-t-elle du DSM ?
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FO : bien sûr, ça reste une classification, avec tous ses défauts et ses limites face au réel de la clinique et à la souffrance des malades, mais nourrie de tous ces éléments de psychiatrie classique française et tout l’apport de grands aliénistes et leurs observations très fines, dans une rencontre avec la psychanalyse.
On retrouve des critères pour obtenir des diagnostics, mais ils sont multidimensionnels pour ne pas seulement avoir une étiquette mais aussi pour une élaboration qui va inclure l’histoire du sujet, introduire un contexte et décliner avec une certaine subtilité la façon avec laquelle la souffrance peut s’exprimer.
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XG : c’est ce qu’on appelle la psychopathologie finalement ? C’est à dire que la différence c’est l’histoire du patient, ce n’est pas seulement le patient à l’instant T mais son parcours, c’est ça qui fait sortir le sujet ?
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FO : tout à fait. Ce n’est pas un cliché instantané, il y a en plus des nuances, des ouvertures qui permettent, même à un niveau plus ponctuel, de construire autrement la situation de quelqu’un à un moment précis. Il existe donc par ailleurs des critères par rapport aux situations (sociales, médicales, familiales, etc.) qui amènent à l’expression du symptôme, avec cette finesse de l’observation.
En outre, cette classification est accompagnée d’un glossaire : quand on parle d’hystérie ou de paranoïa il faut savoir de quoi on parle. Ce n’est pas un traité de sémiologie mais ça permet quand même que les signifiants puissent être posés sur une réflexion clinique et pas seulement une étiquette.
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XG : c’est plus facile que le DSM ou la CIM 10. Comme le dit le Pr Alillaire, c’est « clinician friendly ».
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FO : on n’est pas dans un système où l’on case le patient d’une façon forcée et réductrice, avec une grande perte, perte en terme de discours. Par contre on se trouve plus facilement en accord avec cet acte, car c’est un acte, de poser un diagnostic. Ca s’intègre plus dans un travail clinique, ce n’est pas déconnecté de ce que l’on fait. Parce que, il faut bien l’avouer, souvent, quand on est obligé de coter, la réalité est autre, et on n’est pas d’accord et on force les choses.
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XG : c’est une approximation, presque au sens mathématique (qui tend vers) ?
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FO : ce n’est pas seulement approximatif, c’est contradictoire. Pourquoi ? Je vous donne un exemple : lors de la dernière présentation de malade (ndlr : à la Section Clinique) on a pu faire une lecture de la psychose, de façon très riche et intéressante, un diagnostic de structure donc. Mais on ne pouvait pas nier qu’il avait tous les critères pour être bipolaire. Et le patient le disait lui-même : « je crois que j’ai tous les critères pour être bipolaire, mais je ne crois pas que je le suis ». Alors comment coter cette psychose ? D’un point de vue structurel, c’est une évidence, mais si du point de vue du DSM on n’a pas tous les critères de la schizophrénie ou du délire chronique, on ne pourra pas le situer là. On le casera dans la catégorie Bipolaire où il y a tous les critères.
On voit bien que ce ne sera pas le même travail pour un clinicien d’aborder la psychose, d’un point de vue du traitement ou de l’approche transférentielle. Voilà pourquoi je parle de contradiction.
Dans la classification française, la CFTMR- 15, on peut éviter ces écueils. Avec toutes les difficultés que ça représente, car le diagnostic posé, il y a un risque d’arrêter de penser, comme s’il s’agissait d’une sorte de conclusion inexorable. Mais là, c’est un travail beaucoup plus clinique.
Et j’insiste sur le fait que ce n’est pas qu’une affaire de psychiatres. On a vu avec le DSM l’impact que ça a eu sur la société, sur le discours contemporain et pas seulement sur la santé mentale. Ca façonne aussi le discours de l’Autre, et les psychanalystes se trouvent dans leur cabinet avec des hyperactifs, des bipolaires, des gens harcelés par des pervers narcissiques, bref, des figures modernes qui portent l’empreinte de ça.
Cette nouvelle classification part de la psychiatrie, fait retour sur la clinique et on peut espérer que ça peut modifier toutes ces questions qui concernent la folie ou simplement la souffrance. Moi j’aimerais alimenter cet espoir que ça puisse produire une inflexion ou contrer le discours dévorant de la science incarné par le DSM.
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XG : Alors une autre question se pose sur cette classification spécifiquement « française » : un des grands enjeux du DSM est devenu, ce n’était pas le cas au départ, de réaliser cette chose extraordinaire : trouver une langue commune à tous les psychiatres dans toutes les langues pour dire la folie. Ambition qui semble avoir échoué puisque le DSM est devenu cette tour de Babel qui enfle sans cesse sans que personne ne s’y reconnaisse. La classification française a le défaut inverse : seuls les français peuvent la comprendre car elle fait référence à une tradition et une histoire de la psychopathologie qui est française.
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FO : le DSM a été conçu au départ comme une classification américaine pour les américains, mais chapeautée, comme toutes les autres classifications nationales, par la CIM 10 de l’OMS. Le problème est que le DSM s’est imposé à toutes et a inversé le rapport si bien que la CIM a fini par se caler sur le DSM, ce qui est un paradoxe.
La classification française, la CFTMR, a pour vocation de nourrir un autre discours. Mais en effet déjà, le jour de sa présentation, certains se demandaient si l’on ne pouvait pas ouvrir le débat et la présenter comme une classification francophone, en pensant à la Belgique, la Suisse et les pays francophones d’Afrique. Finalement ça n’a pas été retenu parce qu’il y a un certain intérêt à défendre une identité, une tradition française. Moi j’étais intervenu pour dire que cette classification française ne renvoyait pas à une langue ou un pays, mais à un esprit. Une sorte d’intention clinique, et l’on sait l’impact que ça a eu en Amérique Latine, et moi comme Argentin je peux en témoigner.
Il faut rappeler que le socle de la CFTMR pour les adultes est la classification de Misès sur l’enfant et l’adolescent, une classification qui a eu beaucoup d’échos et qui est un support de travail très important en Argentine. Pays où, jusqu’à il y a quelques années, l’on se formait en lisant H Ey, les aliénistes français, de Clérambaut, Capgras, etc.
Et l’on peut dire la même chose de la psychanalyse : Lacan est un auteur très français. Nos collègues de la NLS vont se tirer les cheveux avec ses traductions en hébreux ou en anglais du texte lacanien. Il y a un peu de difficulté en espagnol aussi, mais ça n’a pas empêché les effets du discours de Lacan d’avoir un impact extrêmement important dans toute l’Amérique Latine, qui est un bastion de la psychanalyse.
Donc cette classification française, elle peut rester française et en même temps avoir une diffusion beaucoup plus large. C’est d’ailleurs un rayonnement de la culture française qui va au-delà de la psychanalyse, rayonnement que l’on a un peu perdu.
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XG : Alors cette classification, vous l’avez testé dans votre service ?
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FO : oui, en même temps que nous rentrions nos patients dans la classification CIM comme nous devons le faire en fin d’hospitalisation, nous avons travaillé sur la CFTMR : un double diagnostic donc. Sachant que la classification française prévoit déjà un transcodage de la CFTMR à la CIM. Le résultat fut très clair et nous avons eu la confirmation que la CFTMR, après transcodage, donnait une plus grande possibilité de diagnostics. Par exemple, les patients avaient d’un côté 12 diagnostics avec la CIM et 22 avec la CFTMR, soit de façon plus précise.
Du côté CIM, deux pathologies différentes sont regroupées dans un chapitre diagnostic plus large, sans distinction.
Donc d’un point de vue statistiques, nous avions plus de diagnostics possibles.
Par exemple, pour prendre le chapitre des psychoses, là où la CIM décrit uniquement les troubles délirants chroniques, la CFTMR propose la paranoïa avec ses variantes…
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XG : la paranoïa est énoncée telle quelle ? Comme délire paranoïaque ?
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FO : oui, sous la catégorie délire paranoïaque, passionnel, etc. ce qui n’est pas anecdotique, et comme on le faisait dans la psychiatrie française il y a 20 ans et dont on a perdu l’usage.
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XG : Pour des raisons politiquement correctes qui peuvent s’entendre. Mettre un diagnostic de paranoïaque à un sujet peut être problématique. Est-ce que tu as une idée toi là-dessus ?
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FO : c’est une question qui passe par la pratique. Lorsque l’on est dans une logique de classification de type DSM, le délire chronique, par exemple, la personne dit « Vous avez une maladie qui s’appelle un délire chronique et ça se soigne avec tel traitement » et c’est extrêmement simple.
Nous, qui sommes plus dans un travail de lien avec les patients, on peut poser le diagnostic pour orienter notre travail, notre approche, parce que c’est une obligation légale, mais ce n’est pas quelque chose qu’on va « balancer » à un patient alors que souvent il ne le demande pas.
Les patients s’intéressent assez peu au diagnostic que l’on cote pour eux, mais plutôt à quelle réponse on peut donner à leur souffrance. Donc poser un diagnostic de paranoïaque à un sujet semble traumatique lorsque l’on est obligé de dire « Monsieur, je pense que vous êtes paranoïaque », ce qui est un contresens, on ne peut pas dire à quelqu’un « Vous êtes paranoïaque ».
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XG : et néanmoins, le patient peut lire le diagnostic posé sur le CRH.
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FO : théoriquement oui. Dans notre service c’est arrivé rarement, le questionnement des gens est orienté ailleurs, par le lien, par la façon de travailler.
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XG : si le trouble bipolaire a eu tellement de succès c’est bien parce que les patients se sont emparés de ce diagnostic, ils ont demandé leur CR, il y a à l’heure actuelle une certaine demande de significantiser leur souffrance. Aujourd’hui c’est un savoir qui n’est plus la seule propriété du médecin, les patients (devenus acteurs, ou consommateurs, de leurs soins (ndlr)) veulent savoir, fréquentent des associations de patients bipolaires, etc.
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FO : oui mais ces patients obtiennent leurs diagnostic pas parce qu’ils demandent leur CR, qui est une démarche laborieuse encore, mais parce que nombre de médecins le leur donne : « Monsieur, on a compris ce que vous avez, vous avez un trouble bipolaire».
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XG : n’est-ce pas aussi, pour certains, d’accepter quelque chose de leur maladie, d’accepter que quelque chose cloche chez eux ? D’ailleurs trouble bipolaire est une approximation de la PMD, que l’on a remplacée pour des raisons politiques car il y a le mot « psychose » dedans. Il y a un mouvement sociologique d’une certaine époque, et aussi la reconnaissance des psychiatres que l’on ne peut pas balancer n’importe quel diagnostic pour obtenir une alliance thérapeutique : «Je ne vous dis pas que vous êtes psychotique, vous êtes bipolaire, soit un signifiant atténué, passe-partout, un peu flou, et vous, de votre côté, vous acceptez de vous soigner, que quelque chose cloche en vous et vous rentrez dans un processus de soins ».
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FO : oui, c’est comme ça que ça se passe. Moi, quand quelqu’un me dit qu’il est bipolaire, je ne le contredis pas, mais je ne donne ce diagnostic à personne. Si quelqu’un est paranoïaque je fais à l’hôpital comme les psychanalystes, je relance la question : « Mais vous, qu’en pensez-vous ? Comment le vivez-vous ?». Et la question du diagnostic est du coup évacuée comme ça.
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XG : ton idée est que le diagnostic doit rester un outil professionnel, qui reste entre professionnels pour discuter d’un objet commun.
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FO : oui. C’est vrai que la CFTMR sera difficilement l’objet de revendications identitaires, car on revient à une cohorte de signifiants qui sont chargés de significations. Est-ce une difficulté ? Je crois que la crainte des patients est d’être considérés simplement comme malades et non comme un sujet. Pourquoi acceptent-ils ces diagnostics édulcorés sinon pour garder une subjectivité qui leur appartient ? Mais si on leur propose de les entendre en tant que sujets, ils ont moins besoin de se parer de diagnostic pour fonctionner.
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XG : ne pas être réduit à un signifiant
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FO : oui. C’est en dernier recours le moins pire, mais si l’on peut proposer autre chose, tout le monde est preneur. Autre chose qui passe par soutenir la place de sujet, être attentif à son discours, sa souffrance, l’accompagner. Quand on propose ça, l’intérêt du diagnostic est très pauvre.
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XG : ça c’est ce que pensent les analystes. Une autre école pense qu’il faut dévoiler le diagnostic aux malades car il ne faut rien leur cacher.
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FO : oui, la logique d’une certaine transparence prônée aujourd’hui. Là où on considère que l’absence de transparence cache quelque chose, n’est pas claire, …
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XG : est discriminante…
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FO : le problème avec la transparence c’est aussi les effets d’effraction, qu’on mesure moins bien. On voit bien les clubs de bipolaires qui se réunissent allègrement, on voit moins bien les ravages que des diagnostics lancés d’une façon maladroite peuvent produire. Moi je reste très prudent sur cette question de diagnostic. Il faut dire que peu de gens me posent la question du diagnostic. Ils doivent avoir l’intuition que je ne vais pas leur donner une réponse.